MANON

18.09 — 29.11.2015

Manon, lauréate en 2008 du prestigieux prix Meret Oppenheim, est considérée aujourd’hui comme la plus importante représentante de l’art de la performance en Suisse, tout en s’inscrivant dans l’avant-garde européenne du début des années 1970.

 

Vernissage: 17.09.2015

Manon


Née en 1946 à Berne, elle étudie les arts appliqués à Saint-Gall avant de s’établir à Zurich pour intégrer le conservatoire d’art dramatique. Sa production artistique polymorphe inclut des environnements, des sculptures, des performances, des installations - le tout articulé autour de la photographie qui occupe une place centrale dans son œuvre. Profondément marquée par une conscience féministe, Manon, contrairement à ses contemporaines des années 70, ne vise ni la provocation, ni le militantisme. Son travail se situe plutôt dans une sphère fantasmagorique où luxure et jeux de rôles se mêlent en un monde onirique, parfois même cauchemardesque. Sa vie est son art et son art est sa vie : « Je ne voulais pas faire de l’art, je voulais être ma propre œuvre d’art ! ». Une quête de beauté imprègne profondément son œuvre, portée par la conscience que cet objet de désir ne peut tendre que vers la ruine.

Manon entre de manière fracassante dans la scène artistique de Zurich en 1974 en exhibant littéralement son « univers », le Das lachsfarbene Boudoir (Le Boudoir à la couleur saumon), à la Galerie Lily Tobler. C’est ainsi qu’elle nomme son lieu de vie et de rêve, là où elle passe le plus clair de son temps diurne et nocturne : sa chambre, son cocon, son intérieur le plus secret. C’est un espace clos par des miroirs, monté sous forme d’un multi angles, saturé d’un surprenant mélange de plumes, de fétiches, d’objets excentriques, de bibelots érotiques, de fleurs exotiques et de tissus de soie rose saumon. C’est à cette époque qu’elle apparaît à des heures fort nocturnes, telle une « fleur de nuit d’amour », vénéneuse, peut-être, mystérieuse, à coup sûr, dans les bars de la scène zurichoise où se croisent Walter Pfeiffer, Dieter Meier, Ursula Hodel, David Weiss, ou encore Urs Lüthi pour ne citer qu’eux.

Elle surgit de la pénombre, constamment fardée de la même manière au make-up pâle, toute de noir vêtue et cachée derrière ses lunettes de soleil, comme nous la découvrirons plus tard sur ses propres photographies – voire à la façon des « superstars» de la « Factory », mais sans avoir attendu qu’Andy Warhol ne l’anoblisse. Elle s’est forgé sa propre image de Diva inaccessible et c’est par son image qu’elle s’impose en tant qu’artiste et qu’elle protège sa sensibilité à fleur de peau.

Dans les années 70 et dans le sillage de la sociologie la plus contemporaine, on peut citer d’autres exemples d’(auto-)portraits d’artistes considérant leur propre corps et leur apparence comme matériau artistique, tels que Katherina Sieverding, Michel Journiac ou Jürgen Klauke. Si Manon dévoile en 1974 son « propre » intérieur, des artistes masculins à la même époque montrent les extérieurs, c’est à dire leurs vêtements ou ceux de quelqu’un d’autre, tels Urs Lüthi dans l’exposition Visualisierte Denkprozesse (1970) au Kunstmuseum Lucerne, Christian Boltanski avec l’Inventaire des objets appartenant à un habitant d’Oxford (1973) ou encore Hans-Peter Feldmann avec Alle Kleider einer Frau (1974).

Une mythologie individuelle - pour elle-même

Les débuts de Manon s’inscrivent aussi bien dans le cadre des Mythologies individuelles de l’art (comme Harald Szeemann nomma une des sections de sa fameuse Documenta de 1972), que dans l’exploration de la représentation du corps des femmes artistes par elles-mêmes, dans le sillage de la libération sexuelle des années 60 et 70 et l’éveil du féminisme post 68.

Ainsi, pour la performance La fin de Lola Montez (1975), Manon habillée d’un « body » noir s’enchaîne dans une cage, suspendue dans le noir au-dessus des visiteurs, tel un animal sauvage en tenue S/M. Cette Lola Montez moderne, corps de femme souillé de péchés, se présente comme dans un cirque, donné en pâture à la curiosité d’un public grivois – tel que Max Ophüls narrait dans son ultime film les dernières années de la vie de l’ancienne courtisane du roi Louis I de Bavière.

Durant l’année 1975/76, le galeriste zurichois Pablo Stählin met à disposition de Manon sa vitrine en vieille ville pour exposer l’accrochage La vie dans une vitrine, œuvre dans laquelle l’artiste rend sa vie publique par photographies et autres documents interposés. C’est avec Manon presents men (1976) que l’artiste marque l’histoire de l’art récente en procédant au renversement de l’ancienne dualité artiste/modèle. Manon ne se contente pas seulement d’un seul modèle, mais mobilise carrément un « harem » de 7 hommes – « les plus beaux de Zurich » selon ses propres mots – non pas représentés en peinture ou en photographie, mais en chair et en os. Les tenues vestimentaires reflètent ses fantasmes tout comme les noms qu’elle leur attribue (Rock Angel, Dandy, Beach Boy, Steppenwolf, Portier de Nuit, Jucy Lucy, etc.). L’exposition inverse aussi le dispositif des fantasmes masculins que l’artiste avait découvert à Amsterdam dans les années 70 avec les vitrines du « Red Light district », où les prostituées exhibaient leurs corps aux regards avides des passants mâles. Le public est ici exclu de l’espace d’exposition et renvoyé clairement à sa position primaire, celle de voyeuriste. Finalement, Manon presents men peut être aussi perçu comme un renversement du genre de l’installation Etant donnés (1946-1966) de Marcel Duchamp.

C’est avec The artist is present qu’elle clôt sa trilogie de performances. Un groupe de clones composé de 16 jeunes femmes et d’un mannequin habillés comme l’artiste traversent alors la ville de Zurich pour accompagner la « vraie » Manon à la station ferroviaire centrale, avant qu’elle ne prenne le train pour Lucerne. On était encore loin des discussions abordant la question du clonage. À partir de 1978 et suite à son installation à Paris pour quelques années, Manon se consacre exclusivement au travail photographique en se mettant elle-même en scène devant la caméra. Comme dans ses performances, elle utilise son corps comme support et le modélise en des prises de vues dont elle contrôle tous les aspects, du cadrage à la lumière en passant par la mise en scène : une parenté avec Marlène Dietrich n’est pas à exclure ! Ainsi, dès son arrivée dans la capitale des lumières, elle produit dans une grande effervescence les séries Die graue Wand oder 36 schlafflose Nächte (Le mur gris ou 36 nuits d’insomnie) (1977), La Dame au crâne rasé (1978) etElektrokardiogramm (1978). Avec leur théâtralité et leur côté chic-bricolé, elles témoignent des «maladies de civilisation » propres à nous tous, telles que la solitude ou la paranoïa.

L’autodétermination de la représentation de son propre corps

L’autodétermination de la représentation de son propre corps telle que Manon le revendique et l’applique dès le milieu des années 70, se situe dans la lignée de certaines artistes femmes de l’après guerre, comme Carolee Schneemann, Yoko Ono, Brigit Jürgenssen ou Orlan pour ne citer qu’elles.

En 1971, Manon figure sur une des premières œuvres d’Urs Lüthi : Manon as a Selfportrait (Like a Bird). En ce sens, l’œuvre de Manon entre également en écho avec le parcours de femmes passées du statut de « modèles » d’artistes mâles à celui d’artistes femmes à part entière, en renversant la caméra, quittant le rôle de modèle, et produisant elles-mêmes des images, telles que Dora Maar, Meret Oppenheim, Tina Modotti, Lee Miller voire même Leni Riefenstahl dans la première moitié du XXe siècle.

Au début et milieu des années 70, d’autres femmes artistes telles que Francesca Woodman ou Ana Mendieta, basent leurs démarches sur un travail devant et derrière la caméra à l’instar de Manon. Si la démarche de Francesca Woodman consiste plutôt en une introspection mélancolique sur le passage à l’âge mûr de la femme, Ana Mendieta mène une démarche vers la symbolique de l’union avec la « Terre Mère » dans ses « earth-works ».

Le travail de Manon se distingue nettement de ces démarches. Elle s’inscrit en effet clairement dans la vie et la culture citadine et joue parfois la haute contre la basse culture. Elle questionne également beaucoup plus les genres et tend à certains moments vers une abstraction de sa personne, utilisant son corps comme un stéréotype dans une société de consommation où les rôles sociaux découlent de leurs statuts mercantiles. Elle met notamment en avant des angoisses existentielles, des souffrances physiques et psychiques, voire même des états d’hallucination renvoyant à l’esthétique psychédélique comme avec Elektrokardiogramm (1978).

Bien que l’univers de Manon doive beaucoup au cinéma, les réminiscences cinématographiques ne sont jamais directes comme c’est le cas par exemple de la série Untitled Film Stills de Cindy Sherman, à qui elle est à tort trop souvent comparée. Cindy Sherman – dont le CPG a présenté le travail de jeunesse en 2012 – se référait clairement dans cette série de la fin des années 1970 à une esthétique hollywoodienne des films B des années 50, tandis que les influences cinématographiques de Manon dessinent un large arc allant de Max Ophüls (Lola Montez) à Josef von Sternberg (Lady from Shanghai), à Alain Resnais (L’année dernière à Marienbad), en passant par les mélodrames de Douglas Sirk, Werner Rainer Fassbinder et de son ami Daniel Schmid.

N’ayant pas dû subir le même genre de critiques qu’Hannah Wilke au sujet de sa beauté physique, il n’est pas surprenant, qu’à partir de ses 50 ans, les questions de l’âge, de la perte de force de séduction et de la santé deviennent des thèmes abordés souvent avec une ironie douce-amère comme c’est le cas par exemple avec la série Einst war sie Miss Rimini (Elle était une fois Miss Rimini) de 2009.

L’exposition au CPG

Le CPG présente la première exposition institutionnelle de l’œuvre de Manon en Suisse romande. Le public découvrira un aspect inattendu de l’œuvre de l’artiste qui peut être considéré comme une sorte de démontage de l’image érotico-glamoureuse que nous connaissons d’elle. L’exposition, dont la majeure partie des pièces sont inédites et produites spécialement pour l’occasion, met l’accent non pas sur les représentations les plus diverses de l’artistes elle-même, mais sur l’exploration d’espaces désertés de l’humain – intérieurs et extérieurs confondus. Dans cet élan, l’artiste prend en compte l’espace d’exposition lui-même comme un espace à produire des émotions.

Dans la première partie de l’exposition, le public découvrira pour la première fois des photographies documentaires de l’artiste, suivies par des auto-représentations où l’image de l’artiste est distordue par une esthétique frôlant le kitsch tout en mettant le spectateur mal à l’aise. Puis s’ouvre une salle avec des vues d’intérieurs délabrés, suivie par des inédits, des représentations d’objets ayant décoré le Boudoir à la couleur saumon et des polaroïds jamais exposés montrant des fragments de celui-ci. Enfin, pour clore le parcours, sera proposé dans la dernière salle la sérieElektkrokardiogramm, présentée sous une nouvelle forme.

Manon s’est déjà vue consacrer 2 expositions personnelles à Genève, dont l’une à ses débuts en 1979 à la galerie “Écart“, menée par des artistes, plus spécifiquement par John Armleder, qui l’a soutenue depuis longtemps. En 2012, suite à sa redécouverte par de jeunes artistes et historiens de l’art, Manon était invitée à l’espace Zabriskie Point au Rondpoint de Plainpalais, où elle exposa une installation consistant en un siège de gynécologie faisant face à un fauteuil design agrémenté d’une petite table avec un seau de champagne et flute en cristal, le tout portant le titre Le Voyeur.

L'exposition Manon bénéficie du soutien de : Pro Helvetia Fondation Casino Barrière de Montreux Fonds cantonal d'art contemporain, DIP, Genève & Tricolor Photoprint à Zurich.

 


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Fiche d'artisteArtist file

Manon * 1946 à Berne, vit à Zurich

Manon, lauréate en 2008 du prestigieux prix Meret Oppenheim, est considérée aujourd’hui comme la plus importante représentante de l’art de la performance en Suisse, tout en s’inscrivant dans l’avant-garde européenne du début des années 1970. Elle étudie les arts appliqués à Saint-Gall avant de s’établir à Zurich pour intégrer le conservatoire d’art dramatique. Sa production artistique polymorphe inclut des environnements, des sculptures, des performances, des install [...]

Manon, lauréate en 2008 du prestigieux prix Meret Oppenheim, est considérée aujourd’hui comme la plus importante représentante de l’art de la performance en Suisse, tout en s’inscrivant dans l’avant-garde européenne du début des années 1970. Elle étudie les arts appliqués à Saint-Gall avant de s’établir à Zurich pour intégrer le conservatoire d’art dramatique. Sa production artistique polymorphe inclut des environnements, des sculptures, des performances, des installations – le tout articulé autour de la photographie qui occupe une place centrale dans son œuvre. Profondément marquée par une conscience féministe, Manon, contrairement à ses contemporaines des années 70, ne vise ni la provocation, ni le militantisme. Son travail se situe plutôt dans une sphère fantasmagorique où luxure et jeux de rôles se mêlent en un monde onirique, parfois même cauchemardesque. Sa vie est son art et son art est sa vie : « Je ne voulais pas faire de l’art, je voulais être ma propre œuvre d’art ! ». Une quête de beauté imprègne profondément son œuvre, portée par la conscience que cet objet de désir ne peut tendre que vers la ruine.

Décidée à ne plus jouer la muse de son second mari Urs Lüthi, Manon montre comme premier geste artistique, en 1974 à Zurich, son lieu de vie (et d’amour), Das lachsfarbene Boudoir (Le boudoir couleur saumon). Les pièces suivantes sont souvent des performances où elle apparaît, comme dansLola Montez. Avec Manon Presents Man, elle expose dans une galerie zurichoise sept hommes correspondant à ses fantasmes, telles les prostituées d’Amsterdam qui se présentent dans des vitrines. Avec The Artist Is Present, elle s’en va en voyage de Zurich à Lucerne avec seize jeune femmes, toutes à l’image de Manon. Le miroir est brisé. S’ensuit une longue période de travaux photographiques, où l’artiste se met en scène, toujours avec le même flair érotique sophistiqué : un féminisme teinté de luxure et de glamour extravagant, oscillant entre David Bowie pour le féminin et Marlene Dietrich pour le masculin. À partir de 1990, elle investit le champ de la sculpture et de l’installation, portée par une réflexion ayant trait de plus en plus à la maladie et à la mort. OSMOSCOSMOS présente un extrait de la série Doppelzimmer de 1982, la montrant avec son troisième mari Sikander von Bhicknapahari, assistant photographe, producteur, coach, digital-assistant et bien plus, dans le changement de rôle du modèle nu.


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