WHEN THE AIR BECOMES ELECTRIC

01.05 — 02.06.2019

Curateur : Marco Poloni
En collaboration avec l’ECAL

Le Centre de la photographie développe depuis 2017 un nouveau cycle d’expositions qui consiste à présenter le travail d’anciens étudiants d’écoles d’art de l’arc Lémanique où des artistes enseignants avec lesquels le CPG a déjà travaillé dans le passé, proposent une sélection d’alumni qui ont su donner visibilité à leurs démarches artistiques. Pour la première édition, en décembre 2017, le CPG avait présenté Littéralement et dans tous les sens de Bruno Serralongue en collaboration avec les alumni de la HEAD.

Nous sommes très heureux d’accueillir au Centre de la photographie de Genève, du 30 avril au 2 juin 2019, l’exposition When the air becomes electric. Cette exposition rassemble le travail de neuf jeunes artistes ayant une pratique soutenue de la photographie: Florian Amoser, Julien Gremaud, Quentin Lacombe, Clément Lambelet, Douglas Mandry, Noha Mokhtar, Anja Schori, Jean-Vincent Simonet, Sebastian Stadler. L’exposition est curatée par Marco Poloni, artiste visuel, cinéaste et photographe italien et suisse, professeur associé à l’ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne, mandaté pour ce projet, avec le soutien de Milo Keller, responsable du Bachelor et Master en Photographie de l’école.

Quantified Landscape de Florian Amoser présente une recherche en cours sur la transposition photographique de l’espace sur une surface plane, et se situe à la limite des registres de la photographie et de la topographie. Amoser cartographie les reliefs de galeries souterraines en posant au sol un laser monté sur moteur. Le faisceau lumineux balaye lentement les parois de la cavité, dessinant ainsi une ligne continue selon le principe des courbes de niveaux. Ces longues poses créent des paysages en noir et blanc évoquant autant la pratique analogique que le rendu numérique d’une modélisation tridimensionnelle. Ces images nous montrent à la fois la déconstruction numérique et la disparition de l’espace réflexif de référence de la tradition philosophique occidentale, la grotte.

Dans sa série Sans titre Julien Gremaud présente des grands wallpapers reproduisant des vues de parties de stands des grandes foires d’art, retravaillées en palimpseste. En intégrant au moyen de réflections le contexte expositif aux oeuvres qu’il photographie, Gremaud se propose de subvertir le statut de l’image réifiée pour rappeller que tout objet – qu’il soit ordinaire ou d’«art» – ne peut exister que de manière interdépendante avec les autres.

Arzak, une série récente d’images de Quentin Lacombe est constituée de grandes grandes solarographies produites en sténopé avec un temps d’exposition d’une durée équivalente au solstice. Le papier photographique ainsi surexposé est ensuite scanné sans avoir été au préalable stabilisé. Ce processus dans lequel lumières cosmiques et machiniques s’additionnent produit une collision d’échelles spatio-temporelles au sein de l’image: l’étendue macroscopique des paysages et du ciel nocturnes se trouve convoluée avec la dimension micro-entropique des moisissures produites durant la lente formation de l’image.

La série Happiness is the Only True Emotion de Clément Lambelet analyse la modélisation par algorithmes de la complexité des émotions humaines. En présentant en parallèle des images d’acteurs jouant des émotions de base et leur représentation chiffrée, extrapolée par un ensemble d’outils numériques de Microsoft, Lambelet offre une critique puissante de l’aplatissement et de la normalisation des affects opérée par les technologies numériques.

Douglas Mandry présente deux groupes d’images tirées de sa série Monuments: des photographies de montagne lithographiées sur tissu pris sur des bâches utilisées pour contenir la fonte des glaciers, et des photogrammes de glace en train de fondre et provenant de ces mêmes glaciers. Par ces deux ensembles d’images, romantiques pour le premier et empiriques pour le second, Mandry tente de rendre compte de la lente disparition du paysage alpin dûe aux effets de l’anthropisation de l’atmosphère.

Noha Mokhtar présente, en collaboration avec Gregor Huber, trois grandes sérigraphies de leur série American Standard. Ce sont des images d’objets ordinaires mis en vente sur Craigslist. Au moyen de ces images, les artistes proposent une analyse d’une économie ‘cheap’ du régime néolibéraliste, celle du «how to turn your trash into cash», ainsi que des effets de ce régime sur l’effacement des frontières entre espace privé et public, temps de travail et temps libre.

Nummer Sechszehn (RGB) et Nummer Siebzehn (RGB), les travaux que présentent Anja Schori, s’inscrivent dans une recherche qu’elle poursuit depuis deux ans. Schori creuse la matière même d’impressions photographiques sur aluminium avec une ponceuse, explorant la limite entre pratiques photographique et performative, entre peinture et sculpture. Sa recherche subvertit des concepts consolidés de la photographie et semble jouer avec l’idée que l’image technique est, pour suivre Hans Belting, achéiro-poétique, c’est-à-dire non produite par la main de l’artiste.

Jean-Vincent Simonet tente, avec ses images photographiques de ravers prises sur l’île d’Izu au Japon, de rendre compte de la folie et la liberté insolente qui étaient à l’origine de la photographie, pour citer Foucault. En exploitant des erreurs techniques des plotters utilisés pour les tirer, puis en éprouvant encres et papiers par l’utilisation de produits chimiques, en les exposant enfin de nuit à la pluie, Simonet entreprend de libérer ses images de leur tentation originelle, celle de fixer le temps. Sebastian Stadler avec sa série de photographies L’apparition reprend à son compte une ancienne trope de la photographie analogique, la double-exposition. Stadler superpose des vues de paysages avec des détails pris avec un objectif de macrophotographie, et laisse une place importante au travail du hasard dans son processus de sélection. Par l’agencement en séquence de ses images, Stadler suggère qu’une narration de la matérialité des choses – de leur être justement des choses – est possible.

Les pratiques photographiques individuelles de ces neuf artistes, bien qu’elle diffèrent de manière absolue entre elles au niveaux des sujets qu’elles explorent, convergent par leur remise en question des automatismes liés à leur médium. Chacun de ces artistes explore à sa manière les conditions formelles nécessaires pour faire exister son travail et secondairement, pour l’agencer dans l’espace expositif.

Cette exposition présente également, dans ses aspects modaux, un lien décousu avec le courant identifié comme métamoderniste, à savoir une sensibilité émergente dans la génération née dans les années 80 et se situant dans une oscillation entre la sincérité passionnée du modernisme et les poses ironiques du postmodernisme; une sensibilité socialement engagée et qui réhabilite la narration et la continuité historique.

Dans ses aspects formels, cette exposition présente différentes tentatives de reformuler, dans la pratique de la photographie, la question du médium. Elle reprend à son compte, dans le champ de la photographie, la remise en question radicale de la notion de médium proposée par le philosophe américain Stanley Cavell dans ses textes sur le cinéma à la fin des années ’70. Pour Cavell la définition d’un médium comme découlant d’une cause matérielle ou d’une cause formelle est insuffisante. Un médium découle d’automatismes nés de la répétition dans la tradition classique, puis de l’expérimentation à partir du modernisme. Ces automatismes précipitent une pratique dans une forme, un genre, un type et une technique reconnaissables et qui se constituent en médium. Pour Cavell la recherche d’un artiste, pour atteindre une véritable autonomie, ne doit pas seulement produire des nouveaux énoncés, mais doit se délester des automatismes inscrits dans sa pratique afin de faire émerger un nouveau médium. En un mot, elle doit passer de la condition d’automatisme à celle d’autonomie. Dans le cadre de la pratique photographique, ces interrogations portent moins sur sa forme objectale que sur sa dimension performative. En d’autres mots, elles se préoccupent moins de comprendre ce qu’est une photographie que de ce qu’est la photographie. Ces questions débordent donc largement certains débats dans lesquels le médium photographique a été confiné de par sa nature mécanisée, à savoir la question de l’argentique contre le numérique, la photographie classique contre celle sans objectif, l’image photographique plane contre l’image transplanaire. Les interrogations de ces artistes touchent à des questions plus profondes sur la nature de la pratique photographique, comme les rapports entre automatisme et performativité, causalité et intentionnalité, réalisme et compétence fictionnelle.

Marco Poloni


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