Christian Lutz et Nicolas Righetti
pouvoirPOUVOIR Love Me Protokoll

26.10.2007 — 06.01.2008

L’exposition pouvoirPOUVOIR LOVE ME PROTOKOLL présente deux séries de photographies, réalisées entre 2003 et 2006, par Christian Lutz et Nicolas Righetti, sans qu’aucun des deux ne connaisse la démarche de l’autre. Conçue et produite par le Centre de la photographie Genève et le Musée d’ethnographie de Genève (MEG), l’exposition met en parallèle deux regards aiguisés sur la représentation du pouvoir, tout en permettant une double approche, ethnographique et photographique.

Vernissage: 25.10.2007

Christian Lutz / Nicolas Righetti


Une exposition du Centre de la photographie Genève et du Musée d’ethnographie de Genève

Christian Lutz et Nicolas Righetti ont mené leur enquête sur des questions de la représentation du pouvoir hors des sentiers battus par les mass média, bien que travaillant aussi pour presse. Pour Protokoll et Love Me, ils ont adopté une distance au sujet que le travail journalistique au jour le jour ne permet pas. Les deux séries ne sont pas des commandes, et de ce fait les sujets ne sont pas liés à l’actualité, ce qui leur a permis de mener les travaux sur un moyen terme.

Si le premier s’immisce dans les cérémonies, galas et autres rites des hommes de pouvoir, le second, après avoir réussi à s'introduire dans Le Dernier Paradis — h0 de son livre de photographies prises en Corée du Nord, a voyagé ensuite à plusieurs reprises à travers le Turkménistan, pour rendre compte en images du mode de gouvernance d'un pays digne du Roi Ubu. Le Turkmenbashi, "père de tous les Turkmènes", décédé en décembre dernier, a dans cet esprit crée un « Ministère de la Vérité ».

Christian Lutz observe, souvent avec une distance glacée, le PROTOKOLL — h0 de sa série — des puissants de ce monde, qu’ils soient conseillers fédéraux, ministres italiens ou militaires indiens, tandis que Nicolas Righetti photographie un régime de l'ex-république soviétique où les portraits du dictateur sont omniprésents autant dans l’espace public que sur des produits de consommation. Si Christian Lutz tient compte des hiérarchies et des lieux du pouvoir, souvent perceptibles en filigrane, Nicolas Righetti nous montre un monde enfermé dans un délire absolutiste que seul George Orwell a pu imaginer.

* Nicolas Righetti a reçu le World Press Award en 2007 pour la photographie « Achgabat, Turkmenistan, octobre 2006 », reproduite sur le carton d’invitation ci-joint

Joerg Bader et Manuella Denogent, Centre de la photographie Genève

Pouvoir et protocole Les deux thèmes ont évidemment partie liée entre eux. Ce sont des sujets de choix de l’anthropologie politique. Les anthropologues ont à dire des choses sur la forme de puissance politique à laquelle est soumise une société, sur la situation des dirigeants, sur l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes ou qu’on leur renvoie, sur le pouvoir lui-même et ses enjeux. Le protocole, qui règle l’étiquette, les préséances dans les cérémonies et les relations officielles, qui suppose un vocabulaire et des rites, participe de ces formes, de ces positions, de ces représentations. Il poursuit un but précis: mettre à distance, réduire le danger inhérent aux rencontres, établir un cordon de sûreté symbolique.

Nous voilà confrontés, sur ces deux thèmes, aux remarquables séries documentaires de deux jeunes photographes genevois, Love me de Nicolas Righetti et Protokoll de Christian Lutz.

Le premier se spécialise dans les dictatures. Après la Corée du Nord, Righetti nous emmène au Turkménistan du «regretté» président Saparmourat Ataïevitch Niazov décédé en décembre 2006. Grandeur, souveraineté, omnipotence, oppression et terreur. Le dernier premier secrétaire du Parti communiste local s’est proclamé en 1992 président à vie et en 1993 Turkmenbashi (Père des Turkmènes). Il a cumulé tous les pouvoirs, exercé un contrôle maniaque et absolu sur la vie de ses compatriotes et créé un «ministère de la Vérité». L’étonnant triptyque conçu par Righetti appartient à l’iconographie religieuse. Au centre, le potentat en président bourgeois devant une tasse de thé façon Mao. Il est dans la position classique du penseur, inspiré par une irradiation céleste: une femme, un oiseau, un enfant à cheval apparaissent dans une nuée au-dessus de sa tête. L’espace flotte. Par la fenêtre à pilastre, arc en plein cintre triomphal et rideau noué de la tradition impériale romano-byzantine, à peine décalée sur la droite du personnage, se profile une construction futuriste de la capitale Achkabat, la Tour de la Neutralité, en forme de plateforme de lancement de fusée, tournante, sommée de la statue en or de Niazov, qui suit ainsi un face à face permanent avec le soleil. Sur les volets du triptyque, de beaux enfants endimanchés aux ballons verts et rouges, les couleurs du drapeau national, proclament leur amour: «I love you». Une photographie montre une salle de bain ordinaire, plutôt délabrée, où une affiche de Niazov orne toute la hauteur du mur à carreaux bleus. Le président à vie vous voit jusque dans l’intimité de votre nudité. Une autre prise de vue cadre un panneau géant dans la ville, sur lequel le dirigeant offre de lui, cette fois, une image inscrite dans le temps et l’espace réalistes, ceux du travail et de la réussite: il regarde sa montre. Comique grinçant.

A ce culte délirant s’oppose la série du second photographe: Lutz a suivi dans ses déplacements le président de la Confédération suisse Pascal Couchepin. Président pour un an, comme l’impose le tournus obligatoire dans la plus vieille démocratie du monde. Changement complet de registre. Le photographe ne s’intéresse pas au contenu du pouvoir, mais à son rituel. On n’en saura pas plus sur la politique néo-libérale du radical valaisan. Mais sur la solitude des résidences, l’ennui des déplacements en bus, la médiocrité de l’apparat dans la salle des pas perdus du Palais fédéral, les contraintes du protocole, les contrastes: entre la modestie du costard cravate présidentiel et les chamarrures militaires d’un hôte décoré, entre l’archaïsme d’un rituel de cor des Alpes et l’affichage de la modernité. Avions, hélicoptères, mobilité, fonctionnalité, ballet des exécutants, modeste tapis rouge. Photographies de dos des dirigeants attablés. Le plus étonnant est qu’on ait laissé faire: transparence jusqu’à la vacuité, comique involontaire. Serait-ce que le pouvoir, quand il ne s’incarne pas dans la terreur et le sacré, revêt nécessairement ce caractère bon enfant? Le protocole perd de son importance, le président se laisse approcher, il est un citoyen (presque) comme les autres. Ou peut-être ont-ils raison ceux qui pensent qu’en Suisse le pouvoir est ailleurs qu’au palais, caché, à l’abri du secret... bancaire.

Un anthropologue se doit de décrypter le sens de cette apparition. Elle porte un costume aux couleurs nationales, rouge et vert, envoie la lumière, accueille la colombe de la paix, et il n’est pas impossible que l’enfant cavalier soir le président lui-même, orphelin, dont les hagiographies ne manquent jamais de rappeler l’enfance de prolétaire.

Jacques Hainard, Directeur du Musée d’Ethnographie Genève

 

Christian Lutz, Protokoll, Lars Müller Publishers, Baden, 2007 30 x 24 cm, 92 pages, 54 photographies couleur, hardcover allemand, français, anglais ISBN 978-3-03778-110-4 SFr. 59.90 / Euro 34.90

Livre à paraître: Nicolas Righetti, Love Me, Trolley Books, London, 2008


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