Littéralement et dans tous les sens
CURATEUR : BRUNO SERRALONGUE AVEC CHRISTELLE JORNOD, ÉLISA LARVEGO, SAMUEL LECOCQ, FLORENT MENG ET MÉLANIE VEUILLET

16.12.2017 — 11.02.2018

Pour Littéralement et dans tous les sens, Bruno Serralongue, photographe et professeur à la HEAD depuis 2004, réunit cinq artistes et ancien-e-s étudiant-e-s de la HEAD, ayant choisi la photographie comme principale forme d’expression : Christelle Jornod, Élisa Larvego, Samuel Lecocq, Florent Meng et Mélanie Veuillet.

Vernissage: 15.12.2017 18:00

Élisa Larvego / Florent Meng / Christelle Jornod / Mélanie Veuillet / Samuel Lecocq / Bruno Serralongue


JEUDI 11 JANVIER, de 14:00 à 18:00

> AUDITORIUM CPG (Centre de la Photographie Genève)

Lecture de portfolios avec Christelle Jornod, Élisa Larvego, Florent Meng, Aurélie Pétrel,  Bruno Serralongue et Joerg Bader* 

*Le programme pourra connaître de légères modifications selon les disponibilités des intervenants

Événement gratuit sur inscription : cpg-asst@centrephotogeneve.ch 

 

 

 

L’exposition bénéficie du généreux soutien de la HEAD-Genève et du Fonds cantonal d’art contemporain.

 

Littéralement et dans tous les sens est le premier volet d’une série d’expositions initiée par le CPG. Chaque année, il accueillera un-e professeur-e d'une école d’art romande ou des environs de Genève pour une carte blanche.

 

Les jeunes artistes expérimentent de nouvelles possibilités du « style documentaire » - un courant important de la programmation du CPG – à l’ère du digital et de la globalisation, dont certain-e-s emploient des formes qui indéterminent l’image, flottant entre document et fiction et proche des préoccupations que l’exposition fALSEFAKES traitait déjà en 2013.

 

Le CPG a travaillé dans le passé à plusieurs reprises avec Élisa Larvego et Florent Meng, et maintes fois avec Bruno Serralongue, que ce soit pour des expositions collectives telles que Représentation du travail/Travail de représentation en 2003 ou Arago-Agora à l’École d’art de Perpignan durant le festival « Visa pour l’image » en 2007 ou lors de présentations individuelles telles que Spillovers en 2005, ou sa première rétrospective Backdraft en 2007 accompagnée de la publication La Otra, premier livre édité par les éditions du Centre de la photographie Genève.

 

LITTÉRALEMENT ET DANS TOUS LES SENS

L’exposition Littéralement et dans tous les sens rassemble cinq artistes photographes ayant étudié, à un moment ou à un autre de leur parcours scolaire, à la Haute Ecole d’Art et de Design —Genève dans l’option Information/fiction. Loin d’être rétrospective et sans chercher à montrer la diversité et la richesse qui par ailleurs caractérisent la pratique de la photographie à l’intérieur de l’école, l’exposition, qui n’est pas non plus thématique, est volontairement subjective. Issue d’une carte blanche donnée par Joerg Bader, elle me permet de continuer par d’autres moyens et en tenant un autre rôle à affirmer une position sur la photographie. L’exposition Littéralement et dans tous les sens n’est cependant pas un manifeste. A bien y regarder seul le titre peut être lu comme un manifeste. Il est extrait d’une lettre d’Arthur Rimbaud à sa mère et il me semble adéquat de l’utiliser pour une exposition de photographies.

D’être trop littérale, c’est bien ce que l’on a souvent reproché à la photographie. Encore maintenant la méfiance envers ce médium perdure même si elle ne se pose plus dans les mêmes termes qu’au 19ème  siècle où il lui était reproché de ne pas savoir choisir quel élément faire ressortir dans une composition, mais au contraire, de tout décrire littéralement, sans hiérarchie, avec la même netteté. Pour cette raison, elle ne pourra jamais rivaliser avec la peinture (sous-entendu, elle ne sera jamais une image artistique). Beaucoup de photographes ont littéralement démontré que la photographie n’est pas une peinture, dans tous les sens possibles. Et cette démonstration les a poussés à définir ce qu’est la photographie (parfois pour la repousser loin de l’art). Par exemple, en 1981 dans le texte du catalogue qui accompagnait l’exposition Ils se disent peintres, Ils se disent photographes, Michel Nuridsany citait une phrase de Christian Boltanski prononcée au cours d’un débat en lien avec l’exposition : « La photographie c’est le photo journalisme, le reste c’est de la peinture ». Ou bien encore, plus récemment en 2006, Jeff Wall reconnaissait qu’il avait mené un combat contre une certaine idée de la photographie, celle dite de reportage, mais qu’il avait perdu, que la photographie c’est le reportage, et qu’il s’était « senti plutôt heureux d’avoir perdu ». Nul doute que ces deux artistes pointaient à leur manière la même chose à savoir que « l’image photographique résultant d’une procédure d’enregistrement, n’est pas essentiellement, un produit de l’imagination »(1).

C’est vrai.  L’une des opérations les plus importantes de la photographie n’est certainement pas l’imagination mais la sélection. Elle intervient à toutes les étapes de la fabrication de l’image photographique. Elle commence dès le choix du sujet, du terrain, sur lequel le ou la photographe entend s’immerger et continue au moment de la prise de vue puis se prolonge après à toutes les étapes de la post-production.

Tout projet photographique commence par une décision qui met en route (dans tous les sens possibles). Le mot terrain résonne en effet de manière forte avec l’enjeu du déplacement(2). Tout le monde le sait : pour photographier, il faut se déplacer. On pourrait se demander vers où. La destination est certainement importante, mais à condition de ne pas en faire le seul critère d’appréciation de l’œuvre. Je crois qu’aucun des cinq artistes photographes présents dans l’exposition n’est intéressé principalement par transmettre une trace du réel des Alpes, du Mexique, du camp de réfugiés de Calais. Bien sûr en choisissant d’aller sur place, leurs photographies enregistrent des données spécifiques aux lieux. Mais au-delà des particularités, toutes et tous sont dans une quête de saisir le temps présent, l’actualité, et ce faisant ils désignent aussi la direction d’un avenir, pas forcément très gai pour notre monde occidental : l’incarcération est le modèle dominant de notre mode de vie et cela va durer, semblent-ils nous dire.

Mélanie Veuillet dans sa série Disobedient Objets a photographié dans l’enceinte même de prisons suisses des objets fabriqués illégalement par des détenus ; des objets de confort, de défense, d’attaque, d’évasion. C’est bien du premier, et seul, centre de déradicalisation ouvert sur le territoire français, que Samuel Lecocq a tenté de rendre compte ; encore l’enfermement donc, pour remettre dans le droit chemin. Mais quel est-il et où est-il ce droit chemin ? Passe-t-il par le désert ? Faut-il le traverser au péril de sa vie pour rejoindre l’abondance du premier monde comme le suggère la série de Florent Meng réalisée à la frontière entre le Mexique et les États-Unis au niveau de la ville de Sasabe ? Faut-il s’échouer dans un camp de fortune sur les côtes françaises faisant face à l’Angleterre ? Faut-il se heurter aux parois des montagnes et les gravir au péril de sa vie ?

Les études qu’ils ont suivies les ont rendus conscients que le terrain est saturé d’images médiatiques et que c’est à travers elles que le monde se lit et se comprend. Mais plus important encore, ils ont appris à combattre ces représentations par un travail minutieux sur la forme. C’est pour cette raison que toutes ces photographies, et vidéo, ont en commun d’être apaisées. C’est depuis une barque flottant tranquillement sur la Loire par un bel après-midi ensoleillé qu’une voix féminine nous parle du centre de déradicalisation dans la vidéo Fragility and Obsolescence de Samuel Lecocq. Quand des personnes sont photographiées, elles sont au repos posant en toute confiance. En choisissant de faire poser dans la série Chemin des Dunes des bénévoles avec des réfugiés Elisa Larvego déjoue volontairement les (nos ?) aspirations policières à reconnaître et à classer. Les photographies horizontales du désert de l’Arizona de Florent Meng ou bien verticales des Alpes de Christelle Jornod sont d’une beauté saisissante. Leurs compositions claires et limpides renforcent l’impression de barrières infranchissables.

On voit le monde à travers une forme. Cette réflexion m’a fait penser à la fiction telle que Philippe Dubois la conçoit dans un texte sur la photographie contemporaine. Pour lui, la fiction est la meilleure façon d’appréhender théoriquement le statut de l’image photographique contemporaine. La photographie ne serait plus la trace de « quelque chose “qui a été (là) “ dans un monde réel, mais quelque chose “qui est (ici)” devant nous, quelque chose qu’on peut accepter (ou refuser), non pas comme trace de quelque chose qui a été, mais pour ce qu’il est, ou plus exactement pour ce qu’il montre qu’il est : un “monde possible”, ni plus ni moins, qui existe parallèlement au “monde actuel”»(3) .

Effectivement, il s’agit de ne pas laisser la représentation du monde actuel à ceux qui s’appuient sur le « ça a été » mais d’élargir dans tous les sens possibles l’horizon des regards et des pensées sur ce que l’on appelle le monde. C’est ce que font ces cinq artistes photographes.

Bruno Serralongue

(1) Jean-François Chevrier, Documents de culture, documents d’expérience, Communications. Des faits et des gestes, n°79, Paris, Seuil, 2006, p. 63. C’est du même n° de Communications que les citations de Jeff Wall sont extraites, p. 187.

(2) Au moment de la rédaction de ce texte, je lisais l’ouvrage de la philosophe Christiane Vollaire, Pour une philosophie de terrain. S’inspirant de la pensée de philosophes ayant déserté la tour d’ivoire de la philosophie pour la sociologie et l’engagement sur le terrain (Pierre Bourdieu, Michel Foucault, Simone Weil), elle livre une brillante et sensible analyse sur les motivations de ce passage, de ce transfert, de cette descente vers le terrain qu’elle-même a effectuée. Mon insistance sur le terrain doit beaucoup à son texte.

(3) Philippe Dubois, De l’image-trace à l’image-fiction. Le mouvement des théories de la photographie de 1980 à nos jours, Etudes Photographiques, n°34, 2016, p.60.


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