PANORAMIC SCENES

14.03 — 11.05.2008

L’exposition PANORAMIC SCENES met en avant une pratique photographique qui s’est amplifiée depuis le tournant du XXIe siècle : l’emploi du format panoramique dans la photographie de reportage ou documentaire, non pas pour des paysages mais pour des scènes de la vie humaine contemporaine.

Bien que le phénomène puisse aussi être observé du côté de la photographie plasticienne, de Daniel Berclaz à Sam Taylor-Wood, PANORAMIC SCENES se concentre exclusivement sur des démarches liées à des situations politiques ou sociales.

Traduit de l’ancien grec, panorama veut dire « tout voir ». Le panorama, tel qu’il a été développé par Robert Barker à la fin du 18ème siècle, visait chez le spectateur un effet d’illusion totale à 360°. Il fallait y voir non pas la nature peinte, mais la nature réelle. Walter Benjamin fait remarquer, que David conseillait à ses étudiants de ne pas dessiner d’après nature, mais d’après les panoramas ! Aboutissement de la perspective de la Renaissance, ces « machines de vision », oscillant entre art et technique, fascinaient par l’expérience de toute puissance qu’elles procuraient à n’importe quel spectateur : un pouvoir subjectif donnant l’impression de pouvoir disposer de tout. Stephan Oettermann écrivait dans son livre Das Panorama (Francfort a.M., 1984), que le panorama était la sécularisation définitive du regard divin.

Michel Foucault met dans Surveiller et punir la machine à illusion qu’est le panorama en relation avec l’agencement disciplinaire qu’est le Panopticon. Dans les deux cas, le spectateur est au milieu du monde perceptible. Dans le cas du panorama, hors de tout système de surveillance, le regard produit un sentiment de toute-puissance chez le regardeur.

Il est vrai, que la crise de la peinture surgissant dans la deuxième partie du XIXe siècle est déjà liée à l’existence du panorama. Réaction de la peinture à la découverte de l’horizon. On pourrait d’ailleurs parler d’une démocratisation de la perspective au sujet du panorama et le compter parmi un des premiers mass médias. Rappelons-nous que la photographie est aussi enfant du panorama. Pour améliorer le rendu perspectif de son panorama peint, Jacques Louis Mandé Daguerre, en manipulant la camera oscura, a réussi à fixer une image optique sur une plaque d’argent iodée .

Par la suite, les rotondes abritant les panoramas disparaissaient au fur et à mesure de nos villes et la photographie s’imposait de plus en plus comme le meilleur moyen de reproduire visuellement le réel tangible. Les premières caméras panoramiques apparaissent très tôt, parmi elles celle de Friedrich Martens en 1845. Son format de 1:3 va s’imposer comme cadre idéal pour représenter les paysages ; ceux du Far West colonisé ou du tourisme alpin. Depuis, le format panoramique sert à glorifier la beauté et la grandeur des paysages.

Ce n’est qu’à partir de 1980 que des photographes de reportage commencèrent à se servir du format panoramique. Carl de Keyzer était un des tout premiers et Michael von Graffenried s’en servait pour pouvoir photographier durant toute la guerre civile d’Algérie dans les années 1990, afin de ne pas devoir porter l’appareil devant son œil. C’est aussi à partir des années 80 que les formats des tirages photographiques prennent des dimensions égales à des tableaux d’Histoire, spécialement chez les artistes ayant fait leurs études avec Bernd Becher. Ce champ de représentation élargi inclut le regardeur dans l’espace illusionniste de la photographie. Le format le plus propice en photographie à cette inclusion du regardeur est de tout évidence le panorama.

Depuis une dizaine d’années qu’on voit de plus en plus de reporters et de documentaristes se servir du format panoramique pour représenter des scènes sociales et politiques contemporaines. L’exposition PANORAMIC SCENES essaie de faire le point sur ce nouvel emploi, sans être exhaustif.

Edward Burtynsky (*1955) est devenu mondialement connu à partir de 2003 avec sa série et le livre du même titre, Manufactured Landscapes. On découvre sur de larges planches des paysages complètement altérés par des interventions industrielles, tels les champs pétroliers en Californie, les cargos en voie de démantèlement sur les rives du Pacifique indien au Bangladesh ou encore des montagnes de pneus usagés en Amérique du Nord. Chaque image est cadrée pour mettre en évidence les effets de saturation qui provoquent une nausée certaine chez le spectateur. Les effets nauséabonds de nos sociétés de consommation et de masse deviennent visibles, sans détours. La même année, le photographe surprenait avec une nouvelle série, Before the Flood. Il s’agit d’un ensemble de photographies prises en Chine, dans la vallée du fleuve Yang Tsé. C’est là que le gouvernement chinois est en train de faire construire, par 60'000 ouvriers, le plus grand barrage hydro-électrique du monde (2 km de long et 185 m de haut) pour produire à partir de 2009 l’équivalent en énergie électrique de 18 centrales nucléaires. Ce projet gigantesque correspond aux concentrations de masse de toutes sortes, recherchées par le photographe pour ses sujets. Conçu une première fois en 1919, et plus que jamais d’actualité en vue des énergies fossiles qui vont nous manquer dans les années à venir, le projet du Yang Tsé entraîne des conséquences écologiques et humaines sans comparaison. 1,8 millions de personnes ont été évacuées de la vallée. La photographie choisie montre la ville de Feng Chié après qu’elle aie été rasée. Les hommes recherchant des débris à sauver disparaissent dans ce flot de pierres qui bientôt sera couvert par les eaux.

Luc Delahaye (*1962) a longtemps travaillé comme reporter, plus spécifiquement comme reporter de guerre. Depuis le début des années 2000, il se rend sur les mêmes lieux mais sans intention de « couvrir » la guerre pour les mass médias. Travaillant nettement au ralenti et avec une caméra de moyen ou grand format, il produit seulement trois ou quatre photographies par année, essayant ainsi de synthétiser en une seule et très large photographie les événements et les situations. L’autre volet de sa nouvelle démarche documente des lieux très difficiles d’accès comme le tribunal de La Haye lors du procès de Milosevic, le Forum économique de Davos ou encore l’Assemblée Générale du Conseil de Sécurité de l’ONU à New York. Luc Delahaye se déplace d’une part pour rendre compte des lieux où des décisions de portée mondiale sont prises et d’autre part pour rapporter sur le « terrain » même, les conséquences de décisions prises ailleurs. _____________________________ Carl De Keyzer (*1958) travaille depuis 1983 avec le format panoramique lors de ses voyages dans les contrées les plus éloignées de nos consciences, comme par exemple la région de Krasnoïarsk en Sibérie (Goulag) ou Trinity dans le Nevada, lieux des premiers essais atomiques. En d’autres occasions, il photographie au format panoramique ce qu’il appelle des « tableaux de guerre », les traces des conflits sur la vie quotidienne : le palais détruit de Kaboul, les restes calcinés d'un village incendié au Congo, les immeubles troués de balles en Angola, un grand avion russe détruit sur l'aérodrome de Kaboul. Les deux photographies qui ont été retenues pour PANORAMIC SCENES captent des milieux politico-religieux de la société américaine. Elles rappellent ainsi, entre autres, que les thèmes religieux font partie du quotidien politique depuis bien avant George W. Bush. Dans ces deux images le photographe a recours au montage intérieur (comme au cinéma). L’emploi du format panoramique permet à Carl de Keyzer de faire cohabiter dans le même cadre deux différentes scènes, une en avant-plan, l’autre en arrière-plan. Une photographie de presse conventionnelle aurait privilégié le premier plan; en élargissant le champ de vision, le photographe nous propose une scène à dynamique dialectique.

_____________________________ Armin Linke (*1966) constitue depuis une dizaine d’années une archive photographique, recensant des lieux de premier ordre dans la géopolitique contemporaine, peu importe le critère, qu’il soit par exemple démographique, énergétique ou stratégique. Ainsi, Armin Linke documente par exemple une plate-forme pétrolière dans l’Arctique, un marché très animé à Calcutta ou une station spatiale aux confins de la Sibérie. Le plus souvent, il photographie des villes en construction sur les cinq continents : Hong Kong, Tokyo, Pekin, Pyongyang, Sao Paulo, Berlin, Moscou, etc. Chroniqueur de la mondialisation, il s’intéresse à la manière dont le capitalisme mondial modèle la planète. Armin Linke se préoccupe beaucoup de la forme de présentation de ses œuvres, comme à l’occasion de la Biennale de Venise 2001 où il proposait sur un site, toujours existant (www.arminlinke.com), un livre en ligne. Pour PANORAMIC SCENES, une photographie de grand format a été choisie, donnant un aperçu de la densité des populations dans les mégapoles africaines.

_____________________________ Paul Shambroom (*1956) se concentre dans son travail surtout sur des sujets spécifiquement américains. Il a profité par exemple de la fin de la guerre froide pour accéder aux zones militaires de l’arsenal nucléaire de son pays, considérant ce travail comme un devoir civique. Depuis le 11 septembre 2001, cette série est interrompue pour interdiction d’accès aux sites. Un extrait de cette série est actuellement visible au Musée de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge à Genève, représentant des lieux de commando pour le lancement des missiles atomiques. Sa série Meeting, que Paul Shambroom entame à partir de 2001 et dont trois photographies sont montrées dans PANORAMIC SCENES, est alimentée du même souci pour la démocratie aux Etats-Unis. Si la première série cherchait la transparence, Meeting est plutôt le constat un peu amer du peu d’intérêt que les Américains portent à leur politique locale. Le photographe s’est présenté lors de réunions communales dans des villages qui comptent moins de 2000 habitants pour immortaliser le Conseil communal siègeant. Richard B. Woodward écrit au sujet des photographies de Paul Shambroom : «Tout porte à croire que les participants n’étaient ni nombreux ni enthousiastes. Le secret honteux de la vie politique des Etats-Unis ne réside pas dans les rapports de pouvoir à huis clos, mais dans le désintérêt profond des électeurs. Paul Shambroom exalte des inconnus endossant héroïquement des responsabilités auxquelles nous nous dérobons. Sous l’éclairage des néons, l’épuisement que nous lisons sur leurs visages interdit tout élan digne de Franck Capra.»

_____________________________ Jules Spinatsch (*1964) a déjà montré en 2003 au Centre de la photographie Genève son tout premier travail panoramique, Temporary discomfort – Chapter IV PULVER GUT. Il s’agissait d’une vue de Davos enneigé, truffé de barrières et d’autres architectures anti-émeutes, prise dans un laps de temps de 10 jours. Détournant les Web-cam censées transmettre l’état des pistes de ski, le photographe avait réussi à nous montrer comment un village alpin peut se transformer en un lieu de haute sécurité assiégé. Depuis, Jules Spinatsch a appliqué son système de balayage méthodique d’un espace donné par une caméra électronique à d’autres situations, que ce soit lors du match de qualification pour le Mondial 2006, opposant la Suisse à la France ou encore la séance du Conseil municipal du 30 juin 2006 à Toulouse, pièce présentée dans l’exposition PANORAMIC SCENES. La démarche de l’artiste est bien à double tranchant. Si nous sommes fascinés par cette énorme quantité d’information qui se déploie devant nous, jusqu’aux détails les plus infimes perçus dans les agrandissements à grande échelle – exemple le petit billet écrit à la main, traînant sur le bureau d’un des députés et donnant le titre à l’œuvre, « Fabre n’est pas venu » – la technique employée par Jules Spinatsch peut aussi se transformer en une redoutable arme du tout contrôle. Il n’y a qu’un pas du panorama au Panopticum.

_____________________________ Michael von Graffenried (*1957) s’est fait connaître avec des séries portant un regard ironique sur les Suisses tel que Swiss Image en 1989. L’emploi du format panoramique, qu’il maîtrise avec brio, s’est presque imposé de lui-même durant la deuxième guerre civile d’Algérie. Il s’en sert depuis 1991. La prise de photographies dans les pays musulmans est mal acceptée et photographier dans un pays ravagé par une guerre fratricide implique de hauts risques. De ce fait, Michael von Graffenried se promenait avec une caméra Widelux accrochée autour du cou à hauteur de sa poitrine. Ainsi, il la déclanchait sans jamais regarder à travers le viseur, couvrant un champ de 160°. Au fur et à mesure que la spirale de la violence s’accentuait, Michal von Graffenried était l’un des rares photographes à continuer à se rendre en Algérie. De ses plus de 30 voyages durant les années de plomb, il a rapporté, entre autres, un film conçu avec le metteur en scène Mohammed Soudani qui retrace ses voyages pour retrouver les personnes photographiées dans les années précédentes. Dans PANORAMIC SCENES, le Centre de la photographie Genève montre pour la première fois des clichés pris lors d’une résidence d’artiste au Caire en 2007. N’ayant pu ni les faire tirer dans le laboratoire ni les exposer dans la galerie prévue - les responsables cairotes craignant l’intervention de la police - le photographe les a montrées pendant un jour sur les toits du Caire, là où habitent les Bawabs, les plus miséreux de la capitale égyptienne. Les deux photographies sont accompagnées de deux mini écrans vidéos qui nous font chacuns voir deux plans fixes que le photographe a captés sur you-tube durant son séjour au Caire. Il s’agit pour School's out for girls in Ard El Lewa, Cairo, d’une vidéo montrant de jeunes garçons qui chantent pour séduire des jeunes filles, tandis que la vidéo qui accompagne Riot Police is closing access to Al Azahr Mosque on friday, february 9, 2007 présente un policier de la „Riot Police“, torturant un détenu en le giflant.


SoutiensSponsors

Avec le généreux soutien de(s) partenaire(s) suivant(s)

Vue d'exposition

En relation